Bien que je n’aie jamais trouvé grand intérêt aux recommandations de Last.fm, Harry Nilsson est l’une des seules que j’ai prises à cœur; c’est un auteur-compositeur-interprète d’une sincérité rafraîchissante et d’une excentricité subtile, doté d’une voix exquise et d’un talent digne de Brian Wilson pour arranger celle-ci. De plus, on retrouve une tendance aux mélodies attrayantes, le tout enrobé d’une propension pour la chanson populaire américaine aux airs traditionnels. Sortant alors de ma période fanatique Beach Boys, ça me semblait une combinaison gagnante.
Malheureusement, j’ai seulement fait l’étude de deux de ses albums: le premier était Nilsson Schmilsson, son long jeu le plus populaire, un album que j’apprécie fortement pour son mélange aisé entre sonorités pop classiques et sens de l’humour légèrement loufoque (bref, une excellente représentation des forces de Harry Nilsson), mais dans lequel je ne me suis pas sentie complètement investie, malgré la qualité et le talent palpables.
Mon deuxième essai a alors été son long-jeu précédent, Nilsson Sings Newman, un album court dans lequel Harry Nilsson chante des chansons de Randy Newman vers le début de 1970, accompagné de ce dernier au piano. Ceci n’est pas une description réductrice; l’album n’est principalement constitué que de piano et de voix, ornementés par des touches minimes de quelques autres instruments et des touches moins minimes d’overdubs vocaux de Nilsson, contribuant à une ambiance d’une intimité frappante.
Un aspect particulièrement intéressant est que la satire caractéristique des chansons de Newman est désarmée par l’interprétation délicate de Nilsson. Par exemple, les personnages douteux d’un texte tel que Yellow Man (montrant un personnage raciste envers les gens asiatiques) sont dépeints d’une manière marginalement plus sympathique que ce que leur offrirait Newman. Je ne crois pas que ça soit une décision artistique consciente, mais plutôt un effet secondaire du changement d’interprète, changement qui, en général, ne donne pas une dissonance cognitive aussi forte qu’au dernier exemple. Néanmoins, le projet est imbu d’une fragilité qui me plaît beaucoup, et la franchise de Nilsson souligne le talent de Newman pour les chansons et les textes évocateurs.
Un autre élément que je trouve attrayant dans ce projet est l’absence de prétention: le titre de l’album est Nilsson Sings Newman (Nilsson chante Newman), et c’est en effet une description très exacte de son contenu. Par extension, j’admire également l’humilité de Harry Nilsson, qui a décidé de faire un album d’interprétations de Newman parce qu’il considérait plusieurs de ses chansons comme étant meilleures que les siennes. Je ne suis pas nécessairement d’accord avec cette évaluation (ça dépend des chansons), mais cette humilité permet Nilsson d’agir uniquement en tant qu'interprète et réalisateur, qui sont à mon avis ses compétences les plus fortes.
Jusqu’à date, je n’ai pas trop parlé des chansons en tant que telles, bien qu’elles soient très agréables. Ceci est en partie parce que la cohésion et la simplicité de l’album ne permettent pas des descriptions très variées; il n’y a pas cinquante-six façons d’écrire: « cette chanson est jolie et l’interprétation piano et voix est touchante et délicate ». Toutefois, je voudrais quand même souligner Caroline, une chanson d’amour écrite spécifiquement pour l’album, apparemment sans ironie, qui je trouve représente le potentiel de l’album complètement atteint. Le morceau, non-obfusquée par la sournoiserie habituelle de l’écriture de Newman, est doté d’une interprétation tendre de Nilsson accompagnée d’une partie piano simple et des touches d’autres instruments parfaitement placées (le clavecin sous « And when the springtime… » en particulier est magnifique), et termine après deux minutes.
Je me permettrai aussi de mentionner Cowboy, la chanson suivante, la plus minimale et évocatrice de l’ensemble. Les paroles clairsemées traitent de la perte de liberté résultant du développement urbain, et l’isolement découlant de l'opposition à ces changements. Naturellement, la première minute n’est que Nilsson chantant solo avec du bruit de vent en arrière-plan. Newman apparaît ensuite pour accompagner d’accords dramatiques les chants de plus en plus désespérés de Nilsson. Une fois arrivée aux trente dernières secondes du morceau, l’effondrement de cette désespérance cède place à un tourbillon enivrant d’arpèges descendants de clavecin, soit une citation cavalière du thème de Midnight Cowboy (film pour lequel Nilsson a repris Everybody’s Talkin’ avec grand succès), symbolisant la résignation du personnage titulaire à la modernité. Ce n’est pas la plus représentative de l’album et elle se rapproche peut-être trop de la prétention artistique que l’ensemble fait si bien d’éviter, mais je trouve qu’elle me marque tout de même.
Cela dit, je ne veux pas donner l’impression que l’album est une œuvre sérieuse, car le sens d’humour de Nilsson est certainement présent, quoique plus atténué que d’habitude. Au cours de certaines chansons, Nilsson brise volontairement l’atmosphère que lui et son partenaire créatif ont soigneusement construite en rappelant à l’auditeur qu’elle n’est qu’une création de studio, soit en se soufflant les paroles ou en donnant des instructions de mixage semblant venir d’une salle de contrôle. Ceci permet à l’album de ne pas paraître trop sérieux, démontrant qu’en fin de compte, Nilsson et Newman ne font que s’amuser.
Je pourrais continuer de décrire l’album, mais vu qu’il dure moins d'une demi-heure, je suggère simplement de l’écouter d’en faire votre propre avis. Il y a de bien pires façons de passer son temps qu’en écoutant une des meilleures collaborations réalisées dans le domaine de la musique populaire. Je suis ravie d’avoir pu trouver cet album, et bien qu’il soit un fan-favourite pour les amateurs de Nilsson, j’espère que sa réputation continuera à grandir.
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Je voudrais remercier Max de ses commentaires indispensable par rapport à la langue, sans lesquels ce texte serait saturé de fautes.